
Je devais partir pour rester vivante. Rester, c’était mourir
Avant, la vie d’Olha était douce. Elle vivait à Okhtyrka, une petite ville ukrainienne blottie au nord-est du pays. Elle était manager commerciale et coach sportive. Elle menait une existence paisible avec Kyrylo, son fils de 6 ans. Leur maison incarnait ce bonheur auquel elle aspirait.
Mais ce havre de paix s’est effondré en février 2022, lorsque les premiers chars russes ont franchi la frontière. Okhtyrka, point stratégique, fut l’une des premières villes à subir l’invasion russe. Olha n’oubliera jamais ce jour où un drone russe a bombardé la maison de ses voisins. L’explosion a pulvérisé les murs d’à côté et soufflé une partie de sa maison. « Tout s’est passé si vite. En quelques minutes, il ne restait presque plus rien », raconte-t-elle, le regard perdu dans les souvenirs. Avec son fils, elle s’est précipitée dans une cave, leur seul abri contre les bombes. Mais un abri sombre et exigu qui n’offrait qu’une maigre protection contre le fracas incessant des bombardements. À l’extérieur, la température tombait parfois à -10 °C. « Je serrais Kyrylo contre moi, pour qu’il ait chaud, pour qu’il se sente en sécurité. Je me devais d’être forte. Je me devais de le protéger. Alors je ne pleurais pas. Je ne lui montrais pas que j’avais peur. » Mais chaque jour, les explosions se rapprochaient un peu plus. Chaque nuit, le grondement des tanks semblait plus fort. « Nous espérions que cela s’arrête mais les choses empiraient. » Là, dans l’humidité glaciale, sans eau, sans électricité ni nourriture, ils sont restés dix jours. Dix jours à attendre. Dix jours à écouter cette guerre qui broyait tout sur son passage. Ils n’avaient rien Juste l’espoir que ça s’arrête
« J’ai dû tout abandonner »
Un matin, épuisée par l’angoisse et le froid, Olha prit une décision qu’elle n’aurait jamais imaginé prendre un jour : fuir. La mairie avait organisé des bus pour évacuer les civils. Olha remplit une petite valise avec quelques affaires pour elle et Kyrylo. « J’ai dû tout abandonner : ma maison, mes souvenirs, ma vie, mes rêves. C’était très dur. Mais je n’avais pas le choix. Je devais partir, pour rester vivante, pour sauver Kyrylo. Rester c’était mourir ». Olha et Kyrylo ont embarqué dans l’un des bus bondés, quittant une ville qu’elle ne reconnaissait pas. Elle n’était plus qu’un champ de ruines.
Après un périple éprouvant fait de silences et d’inquiétudes, ils trouvèrent refuge à Poltava chez les parents d’amis qui leur offrirent un toit et un semblant de répit. Mais cet abri ne fut que temporaire. Il fut à son tour menacé. Le dépôt de carburants le plus proche fut réduit à néant par l’armée russe. Comment allaient-ils pouvoir fuir sans essence ni argent ? Et il y eut ce jour. Alors qu’Olha s’évertuait depuis des semaines à dire à son fils que tout allait bien et qu’il ne devait pas s’inquiéter (elle aurait tout tenté pour préserver l’innocence de son fils), Kyrylo la regarda fixement, des larmes roulait sur les joues : « mais non maman, rien ne va bien. C’est faux ». A cet instant, Olha lut la peur dans les yeux de son enfant. D’ailleurs, les jours qui suivirent Kyrylo pleurait beaucoup. Ses nuits étaient peuplées de cauchemars. Olha comprit qu’elle ne pouvait pas rester. Elle devait protéger son fils et atténuer ses peurs. Se cacher plus longtemps en Ukraine n’était qu’un sursis fragile. Il fallait fuir ce pays. Pour leur survie, ils allaient partir pour la Pologne.
Mais ce voyage s’annonçait comme une épreuve. La veille de leur départ, une gare prés de Poltava fut frappée par des missiles russes, tuant des dizaines de civils. Olha ne pouvait pas s’empêcher de penser que cela pouvait leur arriver à eux aussi. Le train qui devait les conduire en Pologne était bondé. Les passagers étaient entassés les uns contre les autres, sans espace pour s’assoir ou même respirer. Pour dormir, c’était à même le sol. Les consignes étaient strictes : interdiction d’utiliser les téléphones portables. Les wagons devaient être plongés dans l’obscurité. Après plus de 24 heures de voyage, ils atteignirent enfin la Pologne. Mais la frontière fut à la fois un soulagement et une désillusion. Les camps d’accueil débordaient. Il n’y avait pas de place pour Olha et Kyrylo. Après deux jours à attendre, Olha prit une nouvelle décision : partir pour l’Allemagne. Alors ils partirent à nouveau. Mais là encore il n’y avait pas de place pour cette maman et son enfant. Olha était prête à parcourir le monde pour protéger son fils. Elle espérait trouver un ailleurs pour préserver son enfant des bombes.
Après une nuit d’attente où le silence était brisé par quelques murmures d’espoir, ils grimpèrent dans un nouveau bus pour rejoindre la France. Ils firent d’abord une brève escale à Lyon et arrivèrent à Clermont-Ferrand, ville dont Olha n’avait jamais entendu parler. Là, des bénévoles d’une association pour l’Ukraine les accueillirent chaleureusement. Il y avait Thierry. Il y avait Bernard. Il y avait Christine. « Ils nous ont pris dans leurs bras. Je ne comprenais pas ce qu’ils disaient mais leur gentillesse me faisait du bien ». Depuis cet instant, Christine et son mari Bernard « sont ma famille de cœur ». Ils l’ont aidée à se loger. Christine se chargeaient des documents administratifs d’Olha et de son fils. Kyrylo, entouré d’autres enfants ukrainiens, a progressivement retrouvé l’élan naturel de l’enfance.
« Je ne pensais rester
que quelques semaines »
Les premiers temps furent difficiles pour Olha. « Je ne pensais rester que quelques semaines ». Mais les semaines sont devenues des mois. L’urgence était de comprendre ce langage dont elle ignorait tout. Elle a alors commencé des cours de Français Langue Etrangère. Mais pendant un an les mots glissaient sur elle, incapables de s’accrocher à sa mémoire. Sa tête était ailleurs, encombrée de tout ce qu’elle venait de vivre, de ses angoisses, de sa peur de ne pas subvenir aux besoins de son enfant. Son logement était un refuge mais pas encore un « chez-soi ». Elle a ensuite commencé à travailler comme agent d’entretien dans un restaurant à Issoire. Mais sa vie s’organisait difficilement. Elle garde de cette période un souvenir douloureux. Elle en parle encore les yeux larmoyants. Et pourtant Olha ne s’est jamais résignée.
Après plus d’un an en France, elle a fini par entrevoir un éventuel futur.
Alors qu’elle participait à un bilan pour ses cours de FLE, Olha a rencontré une encadrante technique de Job’agglo. Elles ont échangé sur son parcours et ses souhaits. C’est ainsi que cette professionnelle a proposé à Olha d’intégrer Job’chantiers à Issoire, spécialisée dans la promotion de la mobilité douce. « Au départ, je ne savais pas trop où j’allais. J’ai dit oui, comme ça. Pourquoi pas ? Aujourd’hui, je peux dire que Job’agglo est une chance pour l’avenir. J’ai rencontré des personnes patientes, des personnes qui m’écoutent. » Depuis son arrivée à Job’agglo, Olha a suivi plusieurs formations en français. Désormais, elle comprend, elle parle, elle lit…elle sourit et rit aussi. Elle est farouchement déterminée à poursuivre son apprentissage de la langue afin d’obtenir un diplôme de langue française, le DELF A2. Ce serait pour elle un passeport pour intégrer une formation pour (re)devenir coach sportive en France. En parallèle, elle a entamé des cours de conduite, un défi qu’elle aborde avec ténacité et pour cause, elle aurait dû passer son permis en Ukraine quelques jours après l’invasion de sa ville par la Russie. Depuis son arrivée à Job’agglo, elle a effectué plusieurs stages dans différentes salles de sport. Et c’est là où elle a toujours envie d’être. D’ailleurs, lorsqu’elle parle de son travail à Job’agglo elle dit avec un large sourire : « ce que je préfère c’est le contact avec les gens. Ce sont les ateliers avec le public que j’aime. Je retrouve un peu de ma vie d’avant, de mon ancien métier de coach sportive. Cela me donne de l’énergie. » Aujourd’hui, Olha envisage à nouveau un futur pour elle et son fils…
De la cave lugubre d’Okhtyra au chantier d’insertion d’Issoire, chaque étape l’a rapprochée un peu plus de son but : offrir un avenir serein à son enfant et redonner un sens à cette vie que la guerre a brisée.